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5 days ago
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Apprécier sans s'approprier
Comment reconnaître l'achillée millefeuille, l'impatiente du Cap, l'ortie ? Comment utiliser la gomme de sapin, la chicoutai, le quatre-temps ? Comment soigner les crampes, les dermatites, les infections avec les plantes ? Chaque communauté autochtone a sa pharmacopée, et le savoir ancestral qui dicte son utilisation s'est transmis de génération en génération. À certains moments, ces connaissances ont été communiquées à des non-Autochtones – après tout, c'est grâce à une infusion d'écorce de conifère que les Autochtones ont aidé les Français à guérir du scorbut au début de la colonie. Mais la plupart du temps, ces connaissances se transmettent oralement, entre Autochtones. Même que, selon Constant Awashish, grand chef de la Nation atikamekw, certains aînés estiment important « que ces savoirs soient transmis oralement et ne soient pas écrits, afin notamment qu'ils ne soient pas utilisés à mauvais escient ». Ce ne sont pas tous les Autochtones qui pensent ainsi, reconnaît M. Awashish. Mais ils sont suffisamment nombreux pour avoir été irrités quand l'herboriste Isabelle Falardeau a publié, à partir de 2015, ses cinq volumes des « Usages autochtones des plantes médicinales du Québec ». Un cas flagrant d'appropriation culturelle, ont-ils dénoncé. Sans parler du fait que Mme Falardeau a publié ses livres sous le nom La Métisse, un pseudonyme qu'elle a adopté pendant son séjour chez les Innus et dont l'ambiguïté lui a valu des accusations d'usurpation d'identité1. Tout ça est raconté dans ce long jugement rendu en juin par la juge Sophie Picard2. Cette dernière a rejeté une demande d'injonction pour faire taire l'artiste atikamekw Catherine Boivin, qui a publiquement dénoncé Mme Falardeau sur les réseaux sociaux. Catherine Boivin, on le comprend à la lecture du jugement, ne reproche pas seulement à Isabelle Falardeau de s'identifier comme « métisse », un terme juridiquement réservé aux membres des communautés historiques des Métis. Elle l'accuse de s'être approprié des notions d'herboristerie qui ne lui appartenaient pas dans le but de s'enrichir personnellement. Ses mots, à l'endroit de l'autrice, sont implacables. Ces livres ont été publiés « dans le but d'exploiter les savoirs autochtones sur les plantes médicinales », m'a-t-elle répété, lors d'une conversation dans le jardin de sa maison, à Odanak, en juillet. « C'était pour qu'elle se fasse un nom en herboristerie. » En 2020, quand elle a commencé à dénoncer l'herboriste sur les réseaux sociaux, Catherine Boivin n'était pas la première à le faire. Déjà, dans son premier ouvrage en 2015, Isabelle Falardeau se défend de s'être approprié les savoirs des aînés innus qu'elle a fréquentés à Mani-utenam. « J'ai mérité (et non volé !) leurs enseignements », écrit-elle en introduction de son premier volume. « Les Innus l'avaient prévenue de ne pas le faire », rappelle Catherine Boivin. Isabelle Falardeau, de son côté, a dit devant le tribunal avoir voulu « aider les Autochtones à ne pas perdre le savoir de leurs aînés ». « Mon intention était de redonner aux Autochtones tout ce que j'ai appris, en remerciement pour ce que j'ai vécu auprès d'eux », m'a-t-elle aussi écrit dans un long témoignage. « J'ai reçu des petites gouttes de savoir, ici et là. Avec le temps, j'ai redonné une rivière… dans laquelle les antimétis [en référence à ceux qui lui reprochent de revendiquer une identité métisse] essaient de me noyer. J'ai naïvement cru que mon travail serait apprécié (et il l'est, par plusieurs), mais je n'aurais jamais cru être lapidée pour ça. » Catherine Boivin soupire. « Ç'a toujours été comme ça, avec les Autochtones », dit-elle. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, ARCHIVES LA PRESSE La cinéaste et artiste pluridisciplinaire atikamekw Catherine Boivin On nous dit qu'on sait ce dont on a besoin. On nous dit qu'on veut nous sauver, qu'on sait comment le faire… C'est infantilisant. Comme si on était incapables de prendre soin de nous-mêmes. Catherine Boivin, artiste pluridisciplinaire d'origine atikamekw D'accord. Mais en ne consignant pas, par écrit, ces savoirs qui se transmettent de façon orale, n'y a-t-il pas un risque qu'ils se perdent ? « Bien sûr qu'il y a un souci de transmission chez les Autochtones ! Mais ça, c'est important de le régler par nous-mêmes. » Les Autochtones ne sont pas fermés à des collaborations avec les non-Autochtones, rappelle Catherine Boivin. Lorsque des chercheurs veulent y mener des travaux, les communautés ont mis en place des protocoles qui définissent la façon dont les données seront recueillies, manipulées, diffusées. « Auparavant, on partageait tout. Mais à un moment donné, on est devenus méfiants parce que les gens se sont mis à exploiter nos connaissances », dit Catherine Boivin. « C'est souvent arrivé que des chercheurs viennent dans nos communautés, collectent des données, repartent, et ne reviennent plus jamais. » « Alors, si quelqu'un s'intéresse à notre savoir-faire, il faut le faire en collaboration avec la communauté, et avec l'appui de tout le monde. Il faut que ça puisse bénéficier à la communauté. Et la communauté a le droit de refuser le projet. » À la fin de son jugement, la juge Picard écrit que plusieurs témoins ont souligné les « compétences et connaissances au sujet des plantes sauvages » d'Isabelle Falardeau. « Rien ne l'empêche, si elle le souhaite, de poursuivre ses cours et conférences en adaptant son discours afin d'éviter les récriminations qui lui sont faites par certains. » Et si, au lieu de s'approprier une culture, on cherchait plutôt à l'apprécier ? Catherine Boivin donne d'ailleurs des conférences sur ce thème de l'« appréciation culturelle ». L'appréciation culturelle, c'est basé sur la permission et le respect. Catherine Boivin, artiste pluridisciplinaire d'origine atikamekw « C'est une démarche mutuelle. Il faut que chacun puisse bénéficier de cet échange. L'appropriation culturelle, elle, vise à exploiter les cultures et l'image des Autochtones. Parce que c'est très à la mode, aujourd'hui, d'être autochtone. » Alors, comment apprécier sans s'approprier ? Peut-on, par exemple, porter des boucles d'oreilles faites par un Autochtone même si on ne l'est pas soi-même ? « Oui, parce que ça, c'est de l'appréciation culturelle. Tu encourages un artiste autochtone, qui a pris le temps de faire le design et de créer le bijou. Et toi, en l'achetant, non seulement tu contribues à son entreprise, mais tu portes les boucles d'oreilles, tu racontes d'où elles viennent. « Moi, j'encourage les gens à acheter autochtone. Allez voir des entrepreneurs, et assurez-vous que ces gens-là sont vraiment autochtones. Demandez-leur de quelle communauté, de quelle nation ils sont originaires. S'ils ne vous expliquent pas d'où ils viennent, c'est là qu'on doit se poser des questions. » « Une amie m'a dit : 'Le problème avec les cultures autochtones, ce sont les Autochtones qui viennent avec' », dit Catherine Boivin en s'esclaffant. « Mais j'ajouterais que si on prend le temps de nous écouter, de comprendre ce qu'on dit, c'est comme ça qu'on va cheminer. » 1. Lisez la chronique « Le droit de dénoncer, en tout respect » 2. Consultez le jugement rendu par la juge Sophie Picard Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue


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6 days ago
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Le droit de dénoncer, en tout respect
Qu'est-ce que l'identité autochtone ? Est-ce une question de « ressenti » ? Ou faut-il répondre à des critères définis par un ministère ? Et à qui appartiennent la culture, les connaissances autochtones ? Est-il possible de les apprécier sans se les approprier ? Voilà toutes des questions importantes auxquelles un récent jugement de la Cour supérieure, sans y répondre directement, apporte matière à réflexion1. Résumons l'histoire. Isabelle Falardeau est active sur les forums autochtones depuis au moins 2009. Elle ne se dit pas autochtone. Elle a travaillé dans la communauté innue de Mani-utenam et dit croire avoir « des ancêtres autochtones », d'où l'identité qu'elle revendique : métisse. En 2020, Catherine Boivin, une artiste pluridisciplinaire et cinéaste atikamekw de Wemotaci, tombe sur des publications de Mme Falardeau sur les réseaux sociaux. Celle-ci se plaint notamment du « racisme » dont elle ferait l'objet de la part d'Autochtones qui ne reconnaissent pas son identité métisse. Catherine Boivin écrit à Isabelle Falardeau pour lui dire qu'elle a trouvé certains de ses écrits « violents ». Elle accuse également sur les réseaux sociaux Mme Falardeau d'appropriation culturelle parce qu'elle publie des livres d'herboristerie sur les usages autochtones des plantes. PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET LA MÉTISSE Isabelle Falardeau Pendant plusieurs mois, sur TikTok ou Facebook, Catherine Boivin a diffusé des publications dans lesquelles elle accuse Mme Falardeau de fraude et d'usurpation. Elle écrit également à la Guilde des herboristes, qui offre un webinaire avec Isabelle Falardeau. Résultat : le webinaire sera annulé, tout comme d'autres contrats de conférences de Mme Falardeau. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Le Grand Conseil de la Nation Waban-Aki, à Odanak, situé à une trentaine de kilomètres à l'est de Sorel-Tracy Au bout d'un an d'échanges publics acerbes, Isabelle Falardeau s'adresse à la Cour supérieure pour qu'une injonction permanente fasse cesser les propos de Catherine Boivin à son égard en plus de lui réclamer des dommages-intérêts. Le 25 juin dernier, la juge Sophie Picard a rejeté cette demande : même si la réputation de Mme Falardeau a souffert des publications de Catherine Boivin, celle-ci a usé d'un langage direct, voire cru, mais n'a pas franchi les limites acceptables de sa liberté d'expression. « Le jugement confirme que je n'avais rien à me reprocher, dit Catherine Boivin. Il dit qu'on peut défendre l'intégrité de nos cultures et de notre identité. » Sous les grands pins qui bordent le terrain de la maison où elle habite, à Odanak, Catherine Boivin raconte le soupir de soulagement ressenti à la lecture du jugement. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE La cinéaste et artiste pluridisciplinaire atikamekw Catherine Boivin, à Odanak Quand j'ai reçu la mise en demeure, je me suis demandé ce que je devais faire. Fallait-il que je retire des publications ? Non, je ne pouvais pas faire ça. Catherine Boivin, cinéaste et artiste pluridisciplinaire atikamekw Si je commence à me taire, à me censurer, jusqu'où ça ira ? Ça donnera du pouvoir aux gens qu'on dénonce, à ceux qui font de l'appropriation culturelle, à ceux qui s'identifient comme autochtones sans qu'ils le soient. » Isabelle Falardeau, elle, ne voit pas les choses du même œil. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Un panneau d'arrêt trilingue abénakis, français et anglais, à Odanak « Je ne me suis jamais dite autochtone », m'a-t-elle écrit, dans un long témoignage dont elle m'a permis de reproduire des extraits. « Un Autochtone, pour moi, c'est quelqu'un qui s'identifie selon les lois du gouvernement colonialiste, dit-elle. Ma culture, c'est la forêt, la liberté. Ce n'est pas la réserve et l'enfermement. » Dans une vidéo mise en ligne sur son site web, après la publication du jugement, Isabelle Falardeau persiste et signe : « Je suis une métisse du Québec parmi des millions d'autres », dit-elle. Y a-t-il autant de métis au Québec ? En français, le mot « métis » porte à confusion, me souligne Darren O'Toole, professeur de droit à l'Université d'Ottawa. Il peut simplement désigner une « personne ayant une double origine ». Sauf qu'en termes juridiques, lorsqu'il s'agit d'identité autochtone au Canada, « métis » va beaucoup plus loin : il désigne une appartenance à l'une des trois communautés historiques reconnues, situées en Alberta, au Manitoba et en Ontario. Mme Falardeau se réclame d'un mouvement beaucoup plus large, qui revendique une identité « métisse » sans définir de liens ancestraux avec les communautés reconnues. Mais les « Métis de l'Est », comme ils se nomment parfois, ne veulent pas seulement honorer un lointain héritage autochtone, ils cherchent également une reconnaissance officielle… qui leur permettrait d'obtenir des avantages réservés aux personnes qui ont le statut d'Autochtone. Aucun tribunal ne leur a accordé cette reconnaissance. Ils n'ont jamais pu prouver, rappelle la juge Picard, « l'existence d'une communauté métisse historique ou contemporaine au Québec ». De toute évidence, Isabelle Falardeau a été « blessée » par les accusations de fraude et d'usurpation publiées en ligne par Catherine Boivin, reconnaît la juge Picard. Et il y a des raisons de conclure que la réputation de Mme Falardeau a été entachée, écrit-elle. Mais Catherine Boivin n'a pas eu une conduite fautive, dit la juge. Ses publications étaient exemptes de propos haineux. « On ne retrouve pas chez Mme Boivin une véritable intention de nuire, mais plutôt l'affirmation ferme et sentie d'un point de vue mûrement réfléchi », écrit la juge Picard. C'est également ce que retient Catherine Boivin. Les propos peuvent être durs, mais ils doivent toujours être exprimés « dans le respect ». « Le but est de faire avancer la cause des autochtones. » Être autochtone est plus qu'une question de « ressenti », dit-elle. « Être autochtone, ça vient aussi avec un bagage. On a voulu nous assimiler, on subit du racisme. Mais eux, ils veulent seulement prendre ce qui est beau dans notre culture, s'approprier les bourses, les opportunités… et nous laisser le reste ? » Tous métissés, vraiment ? En général, les Québécois surestiment leur origine autochtone, ont conclu les spécialistes qui se sont penchés sur la question. Dans une étude publiée en 20132, des généticiens de trois universités québécoises ont découvert qu'en moyenne, environ 1 % du génome des Québécois provient des Autochtones. D'où viennent les 99 % restants ? Chez les Québécois d'ascendance française, plus de 80 % du patrimoine génétique provient directement de la France, et le reste est d'origine britannique, irlandaise, allemande et acadienne, selon une autre étude publiée en 2000. La majorité des croisements entre Autochtones et Européens ont eu lieu au début de la colonisation, ce qui remonte à environ 14 générations. À lire demain : Comment apprécier la culture autochtone sans se l'approprier ? 1. Lisez le jugement de la Cour supérieure 2. Consultez l'étude publiée dans la revue scientifique PLoS One (en anglais) Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue